La voix des murs

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Insolite, c'est ainsi que le promeneur étranger a envie de qualifier ces villages sardes dont les maisons, les ruelles s'ornent d'immenses fresques aux styles et aux messages les plus inattendus…
C'est en Barbagia, dans les massifs montagneux du cœur de la Sardaigne, région sauvage, austère, faite de traditions qui ont la vie dure, que fleurissent ces peintures murales : Fiumimaggiore, Ozieri, Oliena, Nuoro et surtout Orgosolo, la plus prodigue dans ce type d'art populaire.

La Barbagia est une région peuplée de paysans et de bergers qui a longtemps été un fief de rebelles et de brigands, un peuple qui a appris à faire face depuis la nuit des temps, à toutes les calamités s'étant abattues sur son territoire. Des conquérants venus d'au delà des mers ont voulu soumettre ce peuple indocile. Les Phéniciens et les Carthaginois ont fait prospérer leur civilisation sur les côtes de l'île, poussant les habitants autochtones à prendre le maquis vers les hauts plateaux. Lorsque les Romains sont arrivés, ils ont qualifié ces paysans semi nomades de " barbaricum " (barbare). Leur territoire est devenu la Barbagia. Cette culture de résistance a perduré quand les envahisseurs successifs, Sarrasins, Génois, Pisans, Aragonais, Espagnols…ont occupé la Sardaigne.



Le territoire a-t-il forgé la culture ?

Un relief chaotique et accidenté, la rudesse du climat, le repli sur soi d'un peuple subissant les assauts de l'envahisseur, sont sans doute à l'origine du mode de vie et des traditions des habitants de la Barbagia.
Le réputation du bandit sarde, encrée dans la légende, n'est pas étrangère à ce mode de vie. Acculés à la pauvreté, repliés dans leurs montagnes, les paysans de ces plateaux n'ont souvent eu d'autres issues que le brigandage lorsque des crises, des épidémies ou des sécheresses sévissaient, les situations de crise exacerbant les rivalités de clans ou les conflits entre villages : vols de troupeaux, vengeances, allant jusqu'aux enlèvements et assassinats.
Mais la culture de la Barbagia, c'est aussi une tradition d'oralité à travers la poésie. Est-ce le silence des montagnes qui donne l'inspiration poétique aux " barbaricini ", réputés pourtant préférer le geste à la parole ? Les concours de poésie ont paradoxalement fait toujours beaucoup d'adeptes dans ces contrées où les sentiments et les idées s'expriment plus facilement par un regard, un sourire que par des mots.

Les habitants de cette région se retrouvent également lors de fêtes traditionnelles. Chants et danses sont à l'honneur et l'accordéon déverse sa mélancolie exprimant les frustrations, le mal être, parfois la violence mais aussi une forme de bonheur et de liberté d'un peuple si longtemps insoumis.

Depuis les années 1970, un nouveau mode d'expression artistique et populaire a vu le jour : le muralisme.
Inspiré d'une initiative réalisée à Milan en 1968, par un groupe théâtral anarchiste, mais restée sans suite, le phénomène s'est poursuivi à Orgosolo, bourgade de 5000 habitants située au cœur de la Barbagia. Lors du 30ème anniversaire de la lutte partisane contre l'oppression nazi-fasciste et de la libération, des enseignants de la ville eurent l'idée de célébrer l'événement à leur manière, autrement que par des discours qu'ils jugeaient usés ou trop éphémères.
Leur volonté était d'impliquer les élèves dans la manifestation et d'en appeler à la mémoire collective en faisant collaborer ceux qui furent les témoins de l'époque. Dans un premier temps, l'affiche fut choisie comme support avec des slogans illustrés par les enfants des écoles. Les illustrations évoquaient la libération contre le joug fasciste mais aussi des problèmes plus spécifiquement liés à la vie locale (opposition de la population à la création d'un Parc National pouvant mettre en danger l'économie agropastorale) ou même à l'actualité internationale (guerre du Vietnam). L'initiative connu un vif succès mais le support papier était lui aussi trop éphémère. Il fut décidé de poursuivre l'expérience directement sur les murs de la ville.
C'est le peintre et enseignant en arts plastiques, Francesco Del Casino, qui réalisa la plupart des œuvres, aidé par ses élèves pour la coloration des figures et la composition des textes : le dessin, préalablement ébauché dans ses contours par le maître, est finalisé par les élèves qui se chargent d'appliquer divers pigments nécessaires à la coloration. Les textes sont ensuite apposés à l'œuvre.
L'accueil favorable de la population a permis de pérenniser l'expérience au fil des ans. Aujourd'hui, les murales d'Orgosolo (la ville en comporte environ 120) sont internationalement connues et attirent des visiteurs de toutes les pays. Les thèmes abordés sont d'ordres variés, avec une dominante pour les problèmes politiques et de société.

* Scènes de la vie sarde retraçant la tradition populaire : Bergers et troupeaux, fêtes folkloriques, femmes en costumes traditionnels…
* Portraits ou évocations de personnages célèbres et notamment ceux dont les rues portent le nom : Gandhi, Che Guevara, Grazia Deledda (auteur sarde, prix Nobel de littérature en 1927)…
* Mise en image de problèmes politiques locaux ou nationaux : Terrorisme, exode rural, militarisation de l'île, revendications des bergers pour le prix du lait, des étudiants pour le droit à l'instruction…
* Evènements historiques et mondiaux : Guerre d'Espagne, coup d'état chilien, évènements de la place Tien An Men, guerre du golfe…

Ces œuvres sont protégées et entretenues bien que certaines d'entre elles aient été détruites lors de rénovations de façades.C'est d'ailleurs un sujet polémique puisque, à présent, les rénovations de façades sont soumises à autorisation préalable si elles sont ornées d'une fresque.

Michèle Soullier


Les peintre muralistes d'Orgosolo :

* Francesco Del Casino est l'auteur d'un grand nombre d'œuvres murales à Orgosolo. Ce peintre, originaire de Sienne, a vécu vingt ans dans la ville et a marqué, de son style inspiré de la grande époque cubiste de Picasso, le muralisme d'Orgosolo.

D'autres artistes ont participé à l'initiative, tels :

* Pasquale Buesca, d'Orgosolo, garde forestier et peintre autodidacte. Il se singularise par un style naïf, personnages stylisés, couleurs vives et claires.
* Vincenzo Floris, sculpteur à l'origine, ses œuvres surprennent par la violence émotionnelle que transmettent les personnages : situations de résistance, lutte contre l'injustice sociale.
* Le API est un collectif de jeunes peintres orgolais qui ont choisi pour thème l'anti- conformisme social : contre les habitudes, l'embourgeoisement, et le ronron du quotidien.
* Massimo Cantoni qui a réalisé plusieurs œuvres dont certaines en collaboration avec Francesco Del Casino et Pasquale Buesca, cultive un style un rien provocateur, inspiré de la bande dessinée.
Pour ne citer que les principaux.


VENTE DE DIGIGRAPHIES



Date : Avril 2002
Lieu : Italie, Sardaigne
Materiel :
Boitier Nikon F4s et F90X
Objectifs Sigma 24-70MM 1:2.8, Nikon 20mm
Films Fuji Superia 100 et 400