Une page Libanaise

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Février 2011 : Nous entreprenons le voyage, alors qu’un peu partout, au Moyen-Orient et au Maghreb souffle le vent de la révolte. Au Liban, le renversement récent du gouvernement de Saad Hariri par l’opposition et les travaux du TSL préparant le procès de Rafic Hariri, font peser quelques inquiétudes…mais pour l’heure, tout est calme.

IMMERSION DANS BEYROUTH

Ville lumière, arrogante, fiévreuse, déjantée - Ville chaos, grouillante, lépreuse, défigurée

Gemmayzé est un quartier qui a survécu aux affres de la guerre. Témoin du passé, il évoque le charme du Beyrouth d’autrefois. Une réhabilitation a grande échelle en a fait un des lieux branché de la ville : cafés, restaurants, discothèques s’y sont multipliés…La nuit tombée, toute la Jet-set beyrouthine s’y donne rendez-vous. On assiste alors à un étalage, et même à une compétition de luxe et de clinquant. 4X4 rutilants, Lamborghini, Porches et autres voitures de sport envahissent les rues, pilotées par de « jeunes loups », jouant du frein et de l’accélérateur au mépris des piétons, des riverains, des chats, des rats…Une jeunesse semblant sortir tout droit des magasines de mode, déambule et s’exhibe, s’interpelle et s’esclaffe…C’est à qui est capable de mettre 3000 € pour une bouteille de whisky et de ne pas la boire, à celui qui dépensera le plus au restaurant…et qui verra son nom affiché à l’écran en temps réel comme le « meilleur client ». C’est l’univers des croqueurs de vie, des claqueurs de fric, fils et filles de marchands d’armes, de financiers, de promoteurs qui ont prospéré sur le business de la guerre. Progéniture de la guerre, jeunesse dorée à l’âme sombre, sans repères, sans valeurs, sans limites, boulimique, malade de consommer, de posséder à l’écœurement…

Au-delà de ces quelques rues « sous les feux de la rampe », la lèpre gagne du terrain. Dans un quartier voisin, c’est tout un patrimoine architectural et historique qui se trouve menacé de ruine. Va-t-il échapper aux bulldozers des promoteurs immobiliers qui ont fait table rase dans de nombreux endroits de la ville ?
Face à l’hôtel, se dresse une ancienne demeure de l’époque Ottomane comme on en rencontre encore ça et là. Sa façade miteuse et décrépie est jonchée d’impactes de balles. Cependant, elle laisse percevoir son faste ancien, les moulures aux fenêtres, les balcons en fers forgés. Elle invite à la rêverie…
On imagine la vie d’antan, la culture d’un certain « art de vivre », une atmosphère paisible, les jardins et les pâturages qui s’étalaient alentour. Désormais constructions de béton, ruines et terrains vagues jonchées de détritus s’entremêlent au bord de la voie rapide.
C’est vrai qu’elle semble à l’abandon cette demeure, pourtant, à bien y regarder elle ne l’est pas. La porte-fenêtre du premier étage donnant sur un balcon est masquée par un entrelacs de plantes vertes, de toiles tendues et d’objets hétéroclites accrochés on ne sait comment. Parmi ce fatras, on devine une présence, une vie…
Dès le début, elle nous intrigue. Elle passe des heures à guetter la rue, un bonnet de couleur indéfinissable vissé sur la tête, laissant à peine entrevoir son visage (elle ne paraît pas très vieille, mais il est difficile de lui donner un âge, peut-être la quarantaine). Elle se fond dans un environnement savamment construit, telle un caméléon dans le paysage. On suppose que l’entrée de sa tanière se fait par l’arrière-cour sordide qui donne sur la rue. Comment vit-elle dans ce taudis ? Est-elle capable de subvenir à ses besoins ? A-t-elle des proches ? Si demain elle tombe malade ou disparait, qui va s’en soucier ? Elle a l’air tellement paumée…Qu’a-t-elle vécu pour en arriver là ? On ne peut s’empêcher de penser à quelques atrocités de guerre, à un grand traumatisme.

La corniche, c’est la promenade du tout Beyrouth. De jour comme de nuit, elle foisonne d’une population cosmopolite, de la ville, de la banlieue. Toutes les cultures, toutes les couches sociales y sont représentées.
Dans les années 1920, une esplanade fût aménagée façon Côte d’Azur. Le pays, sous mandat français durant 23 ans (1920 à 1943) pouvait difficilement y échapper !
Mais depuis, la physionomie du littoral s’est profondément modifiée. Des tours futuristes côtoient des immeubles des années 70 portant encore les cicatrices de la guerre. Ça et là, des espaces remblayés en attente d’urbanisation sont parsemés de panneaux publicitaires et enseignes en tous genres. Un Luna Park désuet, d’une autre époque, semble faire encore le bonheur de quelques marmots. Le quartier de Raouché est sans doute le plus animé.
En contrebas du boulevard, un vaste terre-plein surplombe la mer et se prolonge en pente douce vers les rochers. Des groupes de jeunes aiment à se retrouver là. Ils passent des heures, assis sur le capot de leur voiture à écouter de la musique, manger des glaces, et se raconter des histoires... Des familles viennent pique-niquer. Les adultes bavardent pendant qu’autour d’eux s’ébattent les enfants, les chiens. De temps en temps, une moto vient faires quelques exhibitions et soulever la poussière.
Non loin, se niche un petit port de pêche ou ce qu’il en reste. Quelques baraques couvertes de tôles sont entourées d’un innommable capharnaüm : matériaux de récupération, filets de pêche, barques éventrées. Une sorte de palan improvisé au moyen de poutres et de madriers a été installé pour hisser hors d’eau les embarcations à réparer. Des pêcheurs à la ligne sont installés tout au long du rivage et attendent.
A proximité, une curiosité attire nombre de visiteurs : une grotte immergée creusée dans la falaise. Les pêcheurs proposent leurs services et assurent des navettes pour les promeneurs. J’observe une barque avec à son bord, une demi-douzaine de femmes voilées de noir de pied en cap qui ont entrepris l’aventure sous l’œil vigilent d’un homme qui leur tient lieu d’ange gardien. Elles semblent s’éclater…

L’ancienne « ligne verte » de séparation est - ouest

Dans ce secteur qui a subi les plus violents combats, quelques immeubles ont survécu. Ils portent encore les stigmates des bombes et des tirs d’obus. Les façades noircies laissent apparaître des trous dans le béton, les fenêtres ont volé en éclat. Pourtant, parmi ce délabrement, la vie continue. De petites échoppes occupent les rez-de-chaussée, et aussi surprenant que cela puisse paraître, certains appartements sont toujours habités (en témoignent les rideaux, les stores, et parfois les plantes vertes aux balcons). Leurs occupants sont restés envers et contre tout, n’ayant sans doute d’autre refuge, ou ne pouvant imaginer leur vie ailleurs que dans le quartier où ils ont toujours vécu…
Par endroit, des engins ont entamé des déblaiements sans achever totalement le travail : ça et là, les restes d’un jardin, les fragments d’une grille en fer forgé, un cyprès ou un lilas anémique, font ressurgir le passé. Petit à petit ces vestiges laisseront place à un nouvel urbanisme, mais pour l’heure, ils sont ici, debout, comme s’ils devaient empêcher que les souvenirs ne s’effacent trop vite et que l’oubli ne s’installe inexorablement dans les esprits.

L’hippodrome est un lieu mythique évoquant les fastes d’une époque. Il est aussi un lieu de mémoire. Situé sur la frontière entre les deux zones est et ouest de Beyrouth, il a été le théâtre de funestes évènements, notamment en 1982 : quand l’armée israélienne encercle la ville, les chevaux sont abandonnés à leur sort…et meurent de faim dans leur boxe. Le cauchemar n’a épargné personne.
Si l’hippodrome reste le rendez-vous dominical où il est bon d’être vu, il a indéniablement beaucoup perdu de son prestige d‘autrefois. Pour atteindre les bureaux et obtenir l’autorisation de visite des haras, nous traversons un espace verdoyant et arboré, longeons une splendide allée bordée de ficus géants...mais les nids de poule, la boue et la décrépitude des installations inspirent l’abandon.
Pourtant, l’activité est intense. En cette fin de journée les jockeys ramènent les chevaux aux écuries. Passé l’entraînement, c’est l’heure des soins, et de la ration de foin. Nous allons à la rencontre des hommes et découvrons un univers très organisé : des propriétaires, aux entraineurs en passant par les jockeys ou les garçons d’écurie, chacun a sa place, sa fonction et ses tâches spécifiques. Leur accueil est chaleureux. Ils sont fiers de leurs bêtes et heureux de poser à leur côté, le temps d’une photo.

Quitter Beyrouth c’est traverser des kilomètres de banlieue et une architecture composite. Immeubles imbriqués et entassés ; étalage de panneaux publicitaires gigantesques qui rivalisent pour capter des parcelles de « cerveau disponible » ; voies rapides bondées où les véhicules slaloment, s’entremêlent, se frôlent au mépris de toutes règles. Ici la conduite est le symbole du chacun pour soi, l’apogée de l’individualisme arrogant.
Au bout d’une heure (ou plus selon la fluidité de la circulation), apparaissent enfin des collines aux pentes vierges de toute urbanisation. Des vallées arides et encaissées entaillent ce paysage rocailleux à la végétation rabougrie. Nous empruntons l’une d’elles en direction du Mont Liban.

LE MONT LIBAN

A l’approche des régions montagneuses, nous prenons pleinement la mesure de la diversité culturelle et religieuse qui caractérise le pays. Tout au long des méandres de la route, la sensation de pénétrer en pays chrétien se fait de plus en plus prégnante. Les maisons aux toits de tuiles, les petits jardins coquets, les églises, donnent une impression d’occident. Mais ici, la chrétienneté est beaucoup plus ostentatoire. Les vierges et autres objets de foi s’exhibent résolument comme pour conjurer un sort, ou protéger des valeurs menacées…
C’est dans un petit village perdu tout en haut de la vallée de la Kadisha, que nous rencontrons Antoune Youssef et sa femme. Ils viennent à notre rencontre pour bavarder, nous offrent des pommes, puis nous proposent de partager leur repas, en tout simplicité. Assis près du poile à bois, nous dégustons des pommes de terre cuites sur le feux et quelques autres mets, le tout arrosé d’un alcool de prunes qui vous réchauffe le gosier ! Ils nous invitent à dormir, à séjourner le temps qu’il nous plaira… Les enfants ont quitté le pays il y a bien longtemps et on laissé une grande maison vide (l’un travaille en Angleterre, l’autre en Amérique Latine).
Nous déclinons l’invitation mais comprenons qu’ici la vie est bien monotone. Une visite comme la notre, ça ponctue le cours du temps, c’est un petit événement dont on parlera, que l’on commentera…une parenthèse.

SAÏDA ET LE SUD LIBAN

Prendre la direction du sud nous immerge dans un tout autre univers. La physionomie et l’ambiance des villes rappellent qu’ici, nous sommes en pays musulman, une zone où domine un Islam politique (le Hezbollah y est puissant) : des affichent arborant des portraits d’imams et de leaders religieux jalonnent les routes ; un peu partout des mosquées érigent leur minarets ; les djellabas, abayas, hijab et autre vêtements de l’Islam sont de rigueur.

Au Liban, de nombreuses constructions ont poussé dans l’urgence. Dans le Sud, le phénomène est accentué. L’afflux des réfugiés palestinien a amplifié la problématique du logement. Des habitations sommaires éternellement inachevées, des constructions de briques ou de béton hérissées de fers en attente, qui ne verront sans doute jamais une couche d’enduit, constituent le décor urbain. L’asphalte des rues moult fois endommagé, a été plus ou moins rafistolé. Les trottoirs dans le même état, sont souvent jonchés de détritus. Beaucoup de véhicules sont proches de l’état d’épave pour ne pas dire de cercueil ambulant !
Les conflits, l’insécurité et la pauvreté qu’ils génèrent semblent avoir relégué au second plan les préoccupations esthétiques.
Cet urbanisme désordonné et anarchique, contraste avec l’harmonie qui se dégage des quartiers historiques…ceux qui ont pu être préservés et qui constituent aujourd’hui, un atout touristique majeur.

A Saïda, la vieille ville avec ses fortifications, ses souks, ses ruelles pavées, ressemble à une cité de légende, comme dans les contes orientaux. Il flotte dans les rues, des odeurs d’épices, de pâtisserie, de viande grillée, parfois des relents indéfinissables, ou nauséabonds…Les échoppes d’artisans et les boutiques se succèdent. Les produits traditionnels y côtoient les articles importés de Chine ou d’ailleurs : pacotille, vêtements bon marché, téléphones portables…
Soudain, au coin d’une rue, nos narines sont à nouveau interpellées, cette fois-ci par un arôme suave et sucré. Deux jeunes femmes sont en train de malaxer une épaisse pâte de couleur brun clair, parsemée de noisettes. Elles préparent des loukoums. A deux pas de là, toute la famille travaille à découper cette pâte refroidie en petits cubes, à la saupoudrer de sucre farine avant d’emballer une à une les friandises. Une véritable entreprise. On se laisse tenter par une petite dégustation…qui a un goût de « revient-y » !
Le port de pêche de Saïda regorge d’activité, avec les allées et venues des barques qui viennent livrer leurs cargaisons, les étals de poissons qui attirent de nombreux chalands…et des tribus de chats. Les enfants aiment à jouer là entre les baraques, les amas de filets et les flaques de mazout. Ils s’amusent de quelques espiègleries faites aux passants.

Pour regagner Beyrouth, nous envisageons un circuit par le versant oriental et le sud de la Bekka. Sous la pluie, nous empruntons une route tortueuse et défoncée qui conduit vers Nabatiyet. Elle est encombrées de camions. La signalisation y est rare et à plusieurs reprises nous nous égarons. Nous envisageons même de faire demi-tour. Mais, soudain nous atteignons un col, et entre les bancs de nuages qui peu à peu se déchirent, nous apercevons la plaine de Marjayoun.
Malheureusement notre excursion par l’est s’achèvera ici. En effet, nous sommes au cœur de la zone anciennement occupée par l’état hébreux (de 1978 à 2000). Ici, l’armée israélienne tentait de contrôler la résistance palestinienne. La région est toujours sous haute surveillance : 13000 soldats de la FINUL s’y déploient. Mais malgré les efforts de pacification, il subsiste des désaccords sur les frontières. Plusieurs attentats ont eu lieu ces dernières années.
Pour pénétrer cette zone, une autorisation spéciale doit être demandée. N’ayant pas fait de démarche en ce sens, nous nous trouvons stoppés et contraints de rebrousser chemin. Un peu déçus, nous rentrons à Beyrouth par l’ouest, via Jezzine.

COMMEMORATION

Notre séjour s’achève alors que Beyrouth célèbre les 6ème anniversaire de l’assassinat de Rafic Hariri. Pour l’occasion un chapiteau a été installé à proximité de sa tombe, aux abords de la mosquée Al Amine, devenue mosquée Rafic Hariri pour un grand nombre de libanais. A l’intérieur, la foule vient se recueillir et honorer l’ancien premier ministre et les nombreuses autres victimes tombées dans l’attentat. Photos et diaporamas viennent rappeler la vie, le parcours et la grande popularité de cet homme politique, ami de la France et de Chirac… Car Rafic Hariri c’était aussi un homme d’affaire qui avait largement prospéré sur le business de la reconstruction et autres programmes immobiliers fort juteux. Mais ce jour-la, devant le parterre de fleurs surmonté d’un immense portrait du leader sunnite, l’ambiance était vraiment au recueillement.

Michèle Soullier


VENTE DE DIGIGRAPHIES

LE LIVRE EST DISPONIBLE AUX EDITION " FLUX TENDU "


Date : Février 2011
Lieu : Liban
Materiel :
Boitier Sony Alpha 900
Objectifs Sony CZ 85mm et Sony G 50mm